Blocage d’Amazon à Toulouse : retour sur deux journées d’action
Mardi 2 juillet 2019, 390 militant·es des Amis de la Terre, d’ANV-COP21, des Gilets Jaunes et d’autres collectifs, se sont mobilisé·es en France pour une action nationale de convergence contre le géant de la vente en ligne Amazon. Les activistes ont mené le blocage simultané de 3 sites d’Amazon : le siège à Paris et les entrepôts de Lille et Toulouse. Cette action a été organisée afin d’interpeller le gouvernement sur le projet de loi Économie circulaire.
Le blocage de l’entrepôt de Toulouse est le seul à avoir été reconduit pour un second jour consécutif, le 3 juillet. Récit immersif d’une membre d’ANV-COP21 Toulouse sur ces deux journées d’action dans le sud-ouest de la France.
« C’est à l’aube et avec une curiosité presque palpable que j’ai retrouvé le groupe des participant·es à l’action de blocage. Seulement quelques détails pratiques sur le lieu de rendez-vous et l’équipement à apporter avaient été envoyés – le nom de la cible et le déroulé de la journée sont dévoilés lors du brief par les coordinateurs·trices de l’action. Une fois la répartition des différents rôles effectuée, nous nous mettons en route, sac au dos et banderoles sous le bras, pour l’entrepôt d’Amazon, au sud de Toulouse.
Sur place, nous enfilons rapidement nos gilets jaunes ANV-COP21 et déchargeons un camion transportant des pneus, afin d’installer un barrage filtrant avant l’arrivée des premiers fourgons. Je procède à un rapide calcul des forces vives : nous sommes plus de 70 – militant·es chevronné·es, enfants, nouveaux·velles venu·es, Gilets jaunes, membres d’Extinction Rebellion… – à s’être rassemblé·es pour cette journée extra-ordinaire !
Très vite, chacun·e se concentre sur sa mission : médiation avec les employé·es du site et les vigiles, discussion avec les livreurs pour leur expliquer la situation et les raisons du blocage, aménagement du site et installation de banderoles, de panneaux, d’affiches sur le rond-point voisin pour alerter les passant·es sur l’événement en cours, blocage du portail de l’entrepôt pour le laisser ouvert et permettre aux travailleur·ses du site de rentrer et pointer leurs heures de travail. Une voiture de police arrive peu de temps après sur les lieux : la militante désignée « contact police » se fait leur interlocutrice privilégiée et après quelques minutes de discussion, les forces de l’ordre ne semblent pas broncher et restent en retrait tandis que nous poursuivons le blocage.
Tout au long de la journée, nous suivons la stratégie décidée collectivement : les fourgons et livreurs peuvent entrer dans le site et repartir… mais seulement si les véhicules ne sont pas chargés : aucune marchandise ne doit sortir de l’entrepôt. L’après-midi se déroule dans le calme et la bonne humeur : les relations avec les employé·es et les policier·es sont plutôt sereines, nous profitons du soleil pour faire la sieste et jouer aux cartes, échanger sur les raisons de nos engagements respectifs, se rencontrer. En quelques heures, nous avons monté un petit camp de fortune devant l’entrepôt d’Amazon : toilettes sèches, hamac, barnums, tables de pique-nique, jerricans d’eau pour survivre à la chaleur écrasante et transats. Des séances de yoga sont proposées, un militant chatouille un cajon, on joue au badminton – cette action de désobéissance civile offre un véritable moment convivial et chaleureux.
Quelques pics de tension sont tout de même à relever : un chauffeur affolé par notre action nous avoue que son patron, de la compagnie TMF, menace de le licencier s’il ne livre pas son stock à temps ; deux énormes poids-lourds refusent de nous laisser vérifier leur chargement sous prétexte que les camions sont scellés, et ne peuvent être ouverts qu’une fois arrivés à bon port. Quoique décontenancé·es, nous obtempérons et veillons à limiter en toute occasion les risques pour les travailleurs·ses.
Le but de notre action est d’exercer une pression économique sur le mastodonte de la vente en ligne et lui rappeler l’urgence d’un changement de politique, tant au niveau fiscal, environnemental que social.
Ce n’est que vers 17h que nous sentons que la patience des policier·es présent·es depuis le matin arrive à son terme. D’autres voitures de police arrivent sur les lieux et s’agglutinent sur le côté. Nous comptons 8 camions de CRS, 4 camionnettes de la police nNationale, 3 véhicules et 2 motards. Première sommation : on nous demande de partir. Nous faisons le point sur la situation : quelle que soit notre stratégie, nous sommes lucides quant à notre évacuation prochaine. La question est de savoir dans quel état nous souhaitons repartir et quels dégâts matériels nous préférons éviter : d’un accord commun, nous remballons nos affaires et décidons d’évacuer le site… après avoir convenu de revenir le lendemain matin pour poursuivre le blocage !
Nous apprenons par la suite que certain·es militant·es resté·es en arrière ont été gazé·es au visage à bout portant par un CRS impatient d’en découdre avec les activistes.
Vidéo du gazage par les Gilets Jaunes Toulouse
Minuit et quelques, je me couche enfin. 4h plus tard, mon réveil sonne.
Il fait encore nuit quand j’aperçois un petit attroupement sur le trottoir, non loin de l’entrepôt. Nous y revoilà. Nous sommes une quarantaine. Le brief est plus concis, la plupart d’entre nous étions déjà présent·es la veille. Nous décidons que cette fois, nous ne laisserons aucun poids lourd accéder au site. Nous ne voulons pas nous retrouver dans la même situation de la veille, et que les livreurs soient tenus responsables de la marchandise scellée dans leur camion. En revanche, mêmes consignes pour les camionnettes de livraison : elles peuvent circuler librement, tant qu’aucune marchandise ne sort de l’entrepôt.
Nous nous lançons en direction de l’accès à l’entrepôt, déterminé·es. Comme la veille, un camion chargé de pneus arrive sur place en même temps que nous. Nous nous pressons de le décharger pour installer le barrage. Nous sommes à nouveau en place, gilets ANV sur le dos, mines fatiguées mais souriantes.
Les managers sortent rapidement de l’entrepôt, déjà excédés de nous revoir si vite. La conversation s’engage avec les peace keepers [médiateurs·trices]. Les négociations vont déjà bon train. Il est 5h15. Une voiture de police arrive peu après sur les lieux pour constater notre présence. Une policière nous interpelle : « Vous ne travaillez pas vous, mais il y a des gens qui essayent de gagner leur vie ! ». Les débats s’engagent entre militants, policiers et salariés. Malgré notre calme, la tension apparaît rapidement dans les échanges. Chaque discussion entraîne de petits attroupements. Je sens déjà que l’ambiance est différente de la veille.
Le ciel s’éclaircit, et le ton monte du côté des shifts managers. « J’ai 80 types à l’intérieur qui sont furieux. Vous êtes non-violents ? Nous on va vous montrer de la violence ! ». Un poids lourd en provenance de Barcelone arrive sur les lieux. Il s’agit de Mirel, un chauffeur roumain que nous avions déjà rencontré la veille. Comme prévu, nous lui bloquons l’accès au site.
Les managers d’Amazon et la police se concertent. Un jeu de dupes s’installe à notre insu. La policière nous interpelle à nouveau : « On va créer un bouchon monstrueux, ça va faire de la pollution, vous allez voir ! ». Iels prennent la décision de positionner le camion devant notre blocage, empêchant désormais totalement la circulation. Les camionnettes de livraisons ne peuvent plus entrer et les employé·es de nuit ne peuvent plus sortir et rentrer chez eux.
Nous nous réunissons et décidons collectivement de ne pas laisser entrer le camion et de résister à leur manipulation. Les camionnettes de livraison arrivent en fil indienne, immobilisées sur la route. La circulation se densifie, et les salarié·es sont plus nombreux à venir à notre rencontre. Certain·es boivent paisiblement leur café et discutent avec nous d’un air amusé. D’autres, plus échauffé·es, haussent le ton, nous menacent. Pourquoi les empêcher de travailler ? « On s’en fout de la planète ! Amazon c’est une bonne entreprise, elle nous donne du travail ! ». La plupart des employé·es que nous rencontrons sont issus des quartiers populaires de Toulouse. Les peace keepers s’affairent, discutent, expliquent que nous ne sommes pas là pour les empêcher de travailler. Nous savons qu’iels seront payé·es malgré notre présence, mais iels soutiennent que si on empêche l’entreprise de tourner, Amazon fermera l’entrepôt et iels perdront leur travail, de notre faute.
Nous touchons du doigt les difficultés que peuvent présenter les blocages économiques : comment faire comprendre aux salarié·es que nous ne sommes pas contre eux, mais que nous combattons un système mortifère, destructeur de l’environnement et des conditions sociales ?
Alors que nous sommes occupé·es à discuter avec les salarié·es, nous constatons l’arrivée de renforts du côté des forces de l’ordre. La police est maintenant plus nombreuse, et la brigade anti-criminelle est arrivée sur les lieux. Quelque chose se trame. Nous repérons un huissier de justice. Il prend des photos, certainement pour constater que nous entravons la liberté de circulation. Il est 7h30, et l’embouteillage créé est maintenant très important.
Nous décidons de libérer la voie en faisant entrer le camion immobilisé depuis plus d’un heure maintenant. Nous demandons à Mirel de remonter dans son camion, et en quelques secondes, nous libérons l’accès à l’entrepôt. Sitôt le camion passé, nous remettons le barrage en place. Quelques voitures sortent de l’entrepôt, mais les camionnettes de livraison, elles, sont toujours immobilisées à l’extérieur, sur la route. Hors de question pour les forces de l’ordre de nous faciliter la tâche !
Un étrange ballet se déploie sous nos yeux. Nous observons quelques membres de la BAC, en civil, leur t-shirt laissant apparaître les contours de leur équipement. Ils entrent et sortent de l’entrepôt. Quelques minutes plus tard, une petite dizaine de salarié·es se ruent vers nous, furieux·ses. Les bloqueurs·ses se mettent en place, bras et jambes enchevêtrés, s’accrochant aux pneus. L’objectif est bien sûr de ne pas lâcher notre position.
La situation dégénère. Les salarié·es tirent les pneus, nous bousculent, nous hurlent dessus. Je suis dans un état de sidération totale, désemparée devant la détermination des travailleur·ses à se battre pour défendre leurs chaînes. Je m’accroche fermement à mes voisin·es, ferme les yeux pour me concentrer sur mon rôle. Derrière moi, un militant se fait mettre à terre par des salarié·es qui retournent le pneu sur lequel il était assis. Une autre se fait tirer par les jambes, un autre encore, se fait étrangler. « Cassez-vous ! Allez vous trouver un travail ! », « T’occupe pas de moi, on n’a besoin de rien, on est bien nous ! ». Nous scandons « non-violence », en boucle, pour désamorcer une situation dont nous avons perdu le contrôle. Le tout sous le regard des agents de la BAC et des policiers, qui observent la scène sans bouger.
Étrangement, après quelques minutes qui semblent durer une éternité, les cris retombent, les discussions reprennent. Les salarié·es présent·es sont toujours furieux·ses, mais le dialogue a repris place. L’un d’entre eux nous lance : « Le patron d’Amazon il s’en bas les couilles, il sait même pas que ça existe Toulouse ». Des militant·es pleurent. Je suis toujours enchaînée à mes voisins. Nous ne sommes plus que sept, assis·es autour de l’unique pneu encore en place.
Parmi les activistes, un appel est lancé à se rassembler. Il s’agit de prendre rapidement une décision. Le consensus de non-violence que nous incarnons est dorénavant difficilement défendable, et nous sommes tou·tes sous le choc de cette confrontation avec les salarié·es. Nous décidons d’arrêter l’opération. Il est 9h du matin.
Je me relève, encore hébétée par ce que nous venons de vivre. Nous nous réunissons sur le bord de la route. Alors que nous venons de décider de rester sur place une demi-heure pour reprendre nos esprits et pour continuer les échanges avec les salarié·es, les policier·es se déploient pour nous barrer le passage. Iels interpellent des militant·es pour un contrôle d’identité. Il est 9h15, nous quittons le site.
Ces deux journées de blocage se sont achevées sur une note amère, mais, plus que jamais, nous déplorons les tensions et apportons tout notre soutien aux salarié·es. Nous dénonçons le dispositif démesuré des forces de l’ordre et le comportement de certain·es agent·es qui ont alimenté les tensions et ne sont pas intervenu·es au moment de l’altercation, alors que nous étions dans une attitude et un consensus de non-violence.
Nous combattons les pratiques managériales abusives employées par Amazon. C’est à sa politique que nous nous opposons et non aux travailleur·ses de la multinationale.
De plus, Amazon bénéficie de la clémence des pouvoirs publics sous forme de baisses d’impôts locaux, tout en pratiquant l’optimisation fiscale grâce à des montages juridiques complexes.
Pour nous, Amazon est le symbole d’une société de consommation devenue folle, qui détruit l’environnement et compromet l’avenir du vivant sur la planète.
Voilà pourquoi 390 militant·es non-violent·es ont choisi de désobéir et d’entraver l’activité commerciale de la multinationale américaine. Nous exigeons un moratoire sur l’arrêt de l’implantation de nouvelles zones commerciales et d’entrepôts de distribution dans le cadre du projet de loi Économie circulaire. »
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- 9 juillet 2019