Soyons la contrainte qui manque à l’Accord de Paris!
Le concert de louanges et d’applaudissements qui avait accompagné l’adoption de l’Accord de Paris en décembre 2015 avait été tellement fort qu’il avait presque conduit à oublier l’essentiel. L’absence de mécanisme contraignant rend cet accord dramatiquement insuffisant pour contenir le réchauffement climatique en dessous de +1,5°C ou +2°C. Cinq ans plus tard, le bilan des évolutions donne malheureusement raison aux militantes et militants climat qui avaient dénoncé à l’époque cette absence de contrainte : nous sommes toujours engagé·es dans la trajectoire suicidaire nous conduisant à un réchauffement de +3°C ou plus. Une bonne nouvelle cependant : l’essor inédit du mouvement climat dans la société civile au cours de ces dernières années, qui montre que de plus en plus de citoyen·nes s’emparent du sujet pour combler les graves lacunes des responsables politiques et économiques.
Un accord visant des objectifs ambitieux… mais sans moyens de les atteindre
L’objectif fixé par l’Accord de Paris de contenir le réchauffement planétaire à +1,5°C ou +2°C a le mérite de s’accorder aux constats des scientifiques : pour éviter des effets d’emballement climatique irréversibles, il est nécessaire de limiter le dérèglement climatique à ces seuils. Cependant, cet accord aux objectifs honorables avait deux failles majeures : aucune contrainte juridique n’était prévue pour le faire appliquer, et il ne s’en remettait qu’à la bonne volonté des États qui devaient fixer eux-mêmes leurs engagements. Résultat, ces engagements volontaires sont non seulement profondément insuffisants puisqu’ils conduisent à un réchauffement d’au moins +3°C, mais pire, ils ne sont même pas respectés par bien des gouvernements, à commencer par la France, le pays qui a accueilli la COP21 !
Dans un système où la compétitivité et le mythe de la croissance infinie déterminent les décisions des gouvernants, nous ne pouvons pas nous fier à l’unique bonne volonté des États à tenir leurs engagements. D’autant plus que face à la crise climatique menaçant nos conditions de vie sur Terre, nous n’avons pas droit à l’erreur.
2020 : la maison brûle, et un pyromane se fait passer pour un pompier
Aujourd’hui, nous avons la certitude que l’absence de mécanisme contraignant nous conduit à un échec : les États ne sont pas sur la bonne trajectoire, comme le montre avec précision le rapport onusien publié ce mercredi (1). En ce qui concerne la France, le Haut Conseil pour le Climat (instauré par le gouvernement Macron) conclut dans son rapport de 2019 que le pays a dépassé son budget carbone prévu pour 2015-2018, avec un gouvernement qui, au lieu de s’atteler au respect des engagements, repousse les objectifs à plus tard. Si la France poursuit sur sa trajectoire actuelle, elle atteindra la neutralité carbone en 2093, donc avec un retard de 43 ans par rapport à ses engagements (2). Bien trop tard pour éviter un emballement climatique.
Qu’en est-il du champion de la Terre qui clamait “Make our planet great again” ? La politique d’Emmanuel Macron se révèle particulièrement problématique : ne pas être à la hauteur de l’enjeu climatique en tant que président de la sixième puissance mondiale est en soi déjà criminel. Mais l’effet Macron est encore pire : éléments de langage à l’appui, le président fait semblant d’agir, et même d’être particulièrement engagé face au dérèglement climatique. Pour verdir son bilan décevant, le gouvernement va jusqu’à baisser les ambitions pour pouvoir présenter un succès en apparence (3). Cette stratégie de communication a des effets bien plus graves qu’un embellissement du taux de popularité présidentielle : en jouant au pompier responsable qui se charge de la question climatique, Macron a un effet anesthésiant sur la population, qui se repose sur lui au lieu de s’auto-saisir du défi climatique. Une tâche supplémentaire s’impose alors aux militant·es climat : démasquer ce discours trompeur, éveiller les consciences, avant même de pouvoir susciter l’engagement de la population. Un engagement indispensable pour réinventer radicalement nos modes de vie et changer le système.
Pendant que les États traînent des pieds, le dérèglement climatique, lui, s’accélère, et ses impacts empirent bien plus vite qu’on l’imaginait en 2015. Les effets sont palpables même en France : canicules, sécheresses, feux de forêt, inondations dans l’Aude en octobre 2018 et dans les Alpes-Maritimes début octobre 2020, causant le décès de plusieurs personnes. Désormais, nous n’avons plus besoin de regarder loin pour comprendre les impacts néfastes qu’a la multiplication des événements climatiques extrêmes, causée par le dérèglement climatique… et ce n’est malheureusement qu’un tout petit aperçu de ce qui nous attend si nous ne réduisons pas drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre dès maintenant.
Soyons la contrainte manquante à l’Accord de Paris et transformons nos territoires !
Mais si les décideurs n’assument pas leurs responsabilités, comment les citoyen·nes peuvent-iels prendre le leadership face au dérèglement climatique qui s’accélère ? La mobilisation citoyenne a un double rôle à jouer : premièrement, elle peut faire pression sur les décideurs politiques et économiques, en construisant au fur et à mesure un rapport de force populaire favorable pour arracher des victoires et les contraindre à agir.
Mais elle ne peut pas se limiter qu’à ça : face à l’urgence, nous ne pouvons pas attendre patiemment que les décideurs agissent, décideurs qui refusent aujourd’hui avec persévérance de tenir compte de l’urgence, alors que tous les voyants sont au rouge. Deuxièmement, en complément de la construction d’un rapport de force favorable au changement global, nous devons aussi résister localement pour empêcher les projets inutiles climaticides de voir le jour, et nous engager dans la métamorphose de nos territoires. Transformons-les en profondeur en développant massivement les alternatives qui sont déjà expérimentées par milliers et qui peuvent faire advenir une société non seulement drastiquement moins émettrice de gaz à effet de serre, mais également beaucoup plus juste, solidaire, coopérative et épanouissante.
Nous devons construire une majorité politique populaire, démocratique, car la transformation que nous visons doit impliquer toute la population et doit être durable – puisque certains seuils climatiques ne doivent jamais être dépassés quel que soit le changement de majorités électorales – nouvel équilibre sociétal qui ne pourra être atteint sans hégémonie culturelle au sens gramscien.
Des raisons d’espérer et de se mobiliser
Alors que le dérèglement climatique s’aggrave et devient de plus en plus palpable, de plus en plus de dynamiques citoyennes émergent également : les grèves de la jeunesse et les Marches pour le climat ont réuni des centaines de milliers de personnes, l’action en justice de l’Affaire du siècle a battu un record de signatures pour une pétition avec plus de 2 millions de soutiens, les actions de désobéissance civile se multiplient et sont de plus en plus largement soutenues.
Par ailleurs, des victoires juridiques renforcent la légitimité des demandes citoyennes et mettent une pression grandissante aux décideurs. Les décrocheurs et décrocheuses de portrait, poursuivi·es par l’Etat dans 35 procès pour des actions non-violentes symboliques s’attaquant à l’image du président Macron, ont désormais obtenu 4 relaxes ainsi qu’une dispense de peine – autant de jugements favorables aux militant·es reconnaissant que la situation extraordinaire que nous vivons légitime des actions citoyennes innovantes pour alerter la population sur la réalité de l’inaction du gouvernement. Le 19 novembre 2020, le Conseil d’État a rendu une décision historique : en répondant à un recours lancé par la commune de Grande-Synthe, il met l’État face à ses responsabilités en considérant que les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés par la loi sont bel et bien contraignants – et oblige l’État à se justifier dans les trois mois pour prouver que ses efforts de réduction sont suffisants. Un revirement de situation réjouissant !
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- 11 décembre 2020